Solaire : un plan de mobilisation taillé pour les « grands » !
Mené au pas de charge depuis sa mise en place (voir notre article), le groupe de travail ministériel dédié au photovoltaïque a clos ses travaux. En conclusion, le gouvernement, par le biais de Sébastien Lecornu, secrétaire d’état au ministère de la transition écologique et solidaire, a présenté l’initiative « Place Au Soleil », a priori concoctée pour accélérer le déploiement du solaire en France, sur l’Hexagone et dans les ZNI. Un plan qui s’accompagne d’une série de mesures pour la plupart plutôt incantatoires, avec toutefois quelques vraies incitations pour le financement et l’autoconsommation, et qui n’a pas oublié le solaire thermique. Mais un plan taillé pour le PV, avec et pour les « grands » : réunis au ministère jeudi dernier 28 juin, les énergéticiens ENGIE, EDF et Total ont ainsi dévoilé des engagements précis pour des volumes à installer, de même que les poids lourds de la grande distribution, alors que la SNCF Immobilier ou encore le ministère des armées prévoient, eux, de rendre une (grande) partie de leur foncier accessible à des installations solaires. Extraits …
Les « grands » dans les starting-blocks ?
Jean-Bernard Lévy président-directeur général d’EDF : « Avec 8 GW installé, la France a un vrai retard dans le photovoltaïque comparé à l’Allemagne avec 43 GW ou l’Italie avec 20 GW. Nous sommes prêt à accélérer le déploiement. Nous pourrons réduire à 50% la part du nucléaire dans le bouquet électrique si le solaire monte, de son côté, à 20%, ce qui nécessite de se doter d’une capacité de 100 GW de PV. Nous nous fixons comme objectif d’en réaliser 30% ! » (voir également notre article sur le Plan solaire d’EDF)
Patrick Pouyanné, président-directeur général de Total : « Nous sommes présents dans le solaire en tant qu’industriel depuis l’entrée au capital de SunPower en 2011. Depuis, nous avons conforté notre place comme fournisseur d’électricité renouvelable avec la reprise de Direct Energie qui avait auparavant absorbé Quadran. Une capacité de 100 GW d’ici 15 ans est une ambition raisonnable pour la France. Nous possédons des sites industriels affichant un impotant potentiel PV. Tout sera solarisé, et notamment nos stations-services. Notre objectif : installer 10 GW d’ici 10 ans ! »
Isabelle Kocher, directrice générale de ENGIE : « Nous sommes d’ores et déjà le N°1 du solaire en France avec 900 MW en exploitation, et nous avons réalisé 1/3 du volume total raccordé en 2017. Nous visons à multiplier par quatre notre volume dans les prochaines années. Le plan annoncé ici est une première étape, la prochaine sera la PPE. J’en attends de l’ambition et de la visibilité. »
Les projets de la SNCF et du ministère des armées
Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’état auprès de la ministre des armées : « le ministère des armées travaille depuis des années pour améliorer la performance énergétique des ses structures, eet y associe des énergies renouvelables quand c’est possible. Cette démarche représente plus de 50 millions d’euros d’investissements annuels. A Balard, la toiture sud du bâtiment du ministère est équipée de 5600 m2 de panneaux photovoltaïques, ce qui en fait le plus grand toit solaire de Paris. Nous passerons maintenant à une dimension supérieure, avec la location de terrains, de toitures, etc. Au cas par cas, il importe de définir avant tout s’il y a compatibilité entre le PV et l’activité militaire. Nous mettrons à disposition un foncier de 2000 ha avant 2025, un chiffre ambitieux mais réaliste et pragmatique. »
Benoît Quignon, directeur général de SNCF Immobilier : « La SNCF dispose d’un foncier global de 20000 ha de terrains et 25000 bâtiments. Nous voulons réduire notre patrimoine d’un quart et valoriser des surfaces avec des énergies renouvelables. Les équipes son mobilisées. Nous avons déjà repréré 650 à 700 ha de terrains, dont une centaine d’ha pourrait être mis à disposition d’ici cinq ans. Sur la même période, nous comptons installer 12000 m2 de panneaux PV sur bâtiments, pour une surface totale de toiture disponible de 160000 m2. Les toitures de nos 3000 gares représentent en effet un vrai potentiel tout comme nos usines actuellement en construction dont l’une, à Vénissieux, sera équipée d’ombrières solaires. »
Côté grande distribution : des objectifs à plus petite échelle
Si, dans un premier temps, les acteurs de la grande distribution visent essentiellement les toitures et ombrières de parking (les premières centrales solaires sur ombrières datent cependant de 2007-2008 dans ce secteur), tous s’engagent à réaliser des diagnostics des bâtiments, parkings et/ou terrains (en propriété ou en cours d’acquisition) pour examiner la possibilité d’y installer du photovoltaïque, voire à concevoir tout nouveau site ou construction pour qu’ils puissent accueillir du solaire … et certains souhaitent favoriser les projets en autoconsommation. Petit récapitulatif de leurs engagements :
Laurent Vallée, secrétaire général du Groupe Carrefour : au moins 20 MWc d’ici 2022
Dominique Schelcher, président-directeur général de Système U : 30 MWc d’ici 2025
Franck Geretzhuber, secrétaire général d’Auchan Retail France : 60 MWc d’ici 2023
Jean-Marc L’Hullier, président de la direction développement durable du groupement « Les Mousquetaires » : 500000 m2 de PV, soit 100 MWc, d’ici 2023
Michel-Edouard Leclerc, président-directeur général du Groupe Leclerc : 500000 m2 de PV d’ici 2025
Quelques mesures incitatives
A la suite de ces annonces, notamment celles des grands énergéticiens, la réaction, mi-amusée, d’Eric Scotto, président & co-fondateur d’Akuo Energy, semblait tout à fait de circonstance : « vous nous laissez combien de MW ? » … Rappelons qu’Akuo est le premier producteur français indépendant d’énergie générée exclusivement à partir d’énergies renouvelables avec une capacité totale à ce jour de 1,1 GW d’actifs en exploitation et en construction et plus de 2 GW de projets en développement.
De fait, le potentiel du solaire est énorme sur le territoire français : l’Ademe a identifié un gisement potentiel de 350 GW sur toitures, et le Cerema (centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) a évalué à 775 GW le potentiel mobilisable au sol ou sur des parkings dans la moitié sud de la France.
Il ne suffit cependant pas de lancer des appels d’offres avec des volumes de plus en plus élevés, que le gouvernement se propose d’ailleurs de pérenniser jusqu’en 2028 (+1 GW/an, donc 2,45 GW/an, voir notre article) puisque nombre de projets retenus aux appels d’offres ne sont finalement pas concrétisés. La question du « comment » réaliser les MW et GW projetés reste donc posée.
Certaines des mesures annoncées vont cependant dans le bon sens pour mobiliser les acteurs : le maintien de l’exonération de CSPE pour les projets d’autoconsommation, la possibilité de recourir au tiers financement pour les projets d’autoconsommation collective, l’élargissement du périmètre de l’autoconsommation collective à 1 km (producteurs et consommateurs), l’annonce d’un appel à projets dédié à l’autoconsommation collective, l’exonération des domaines publics équipés de panneaux solaires de la taxe foncière (pour inciter les administrations, y compris les collectivités territoriales, à mobiliser leur foncier pour des projets photovoltaïques), l’augmentation de 30% des volumes d’appels d’offres pour l’agrivoltaïsme, la diminution de 40% des coûts de raccordement pour les sites de moins de 5 MW (décret déjà publié), etc. Pour le détail des mesures annoncées, cliquer ici
Par ailleurs, pour favoriser et valoriser l’engagement des collectivités locales dans le déploiement de l’énergie solaire, le gouvernement proposera des programmes pour des « Villes solaires » et « Départements solaires » dès la rentrée de septembre. L’objectif consistera à encourager 100 villes à atteindre d’ici 2020 un nombre de mètres carrés de panneaux solaires par habitant, à réaliser un cadastre solaire pour permettre à tous les citoyens du territoire de connaître le potentiel photovoltaïque de leur logement ou bâtiment, à équiper les bâtiments communaux de projets photovoltaïques, etc.Enfin, le monde du patrimoine devra être étroitement associé au développement des énergies renouvelables. « L’acceptabilité sociale du déploiement à grande échelle des énergies renouvelables passe par la prise en compte des problématiques architecturales paysagères. Cela constitue une opportunité pour le développement de solutions françaises innovantes, avec notamment des technologies mieux intégrées dans leur environnement immédiat, comme les tuiles photovoltaïques ou les vitres photovoltaïques. Un groupe de travail avec les associations concernées, notre ministère, les services du ministère de la culture démarrera en septembre grâce au soutien de Françoise Nyssen et de Stéphane Bern. Le gouvernement financera une dizaine d’opérations photovoltaïques exemplaires et innovantes en termes d’intégration au sein du patrimoine à l’automne prochain », a ainsi précisé Sébastien Lecornu.
Le gouvernement n’a cependant répondu qu’en partie aux attentes des syndicats professionnels, qui se disent toutefois satisfaits du plan de mobilisation dévoilé. Il a clairement montré qu’il n’avait l’intention ni de modifier les procédures des appels d’offres, ni de faciliter l’activité des PME du solaire par exemple avec un guichet ouvert au tarif d’achat pour les toitures de 100 à 500 kW (un secteur particulièrement sinistré aujourd’hui), ni de régionaliser les tarifs d’achat (« sauf pour l’outre-mer où de nouveaux appels d’offres photovoltaïques pluriannuels seront lancés territoire par territoire »), ni de relancer le PV résidentiel (« des aides sont déjà disponibles »), malgré des relances de divers organismes, comme le CLER (voir ici) ou le Syndicat des énergies renouvelables (voir notre article).
Un coup de pouce au solaire thermique
Pour le solaire à la maison, le gouvernement a plutôt choisi de donner un coup de pouce au solaire thermique. Le chauffe-eau solaire individuel (CESI) constitue en effet l’un des points importants du plan de mobilisation. « Un CESI peut couvrir 50 à 80% des besoins moyens annuels d’eau chaude. Les outre-mer sont en avance, en particulier le département de la Réunion, alors que la métropole est profondément en retard. Le gouvernement va donc augmenter son soutien au dispositif thermo-solaire (chauffage et eau chaude solaire combiné) dans le cadre du recentrage du CITE, le crédit d’impôt pour la transition énergétique, sur les travaux les plus efficaces. Je préciserai les différents niveaux lors du projet de loi de finances 2019 en lien avec les députés et sénateurs », a souligné Sebastien Lecornu.
Les prochains rendez-vous
La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), pour laquelle la concertation vient de se terminer, pourrait être écrite et publiée vers la mi-juillet : les acteurs nommés ci-dessus qui ont précisé leurs engagements pour le solaire en attendent des concrétisations pour leurs plans. Les nouveaux types d’appels d’offres annoncés devront être lancés : il faudra donc peaufiner les cahiers des charges, probablement cet automne. Enfin, Sébastien Lecornu a annoncé un bilan du plan de mobilisation « Place Au Soleil » dans un an. A suivre, donc …
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